Mérite

Je me suis demandé ce qu'est le mérite, à force d'en entendre parlé comme d'une valeur, et surtout de manière tellement vague, mais comme si c'était un concept évident qui n'a pas besoin d'être explicité. La définition même est vague. Mériter, c'est avoir droit à juste titre. Et donc le mérite c'est juste. La question c'est qu'est-ce qu'on considère comme juste d'avoir droit. Ce à quoi la définition ne répond pas. Et c'est même tout l'intérêt du concept, comme celui même de justice. Image-t-on un présidentiable dire qu'il œuvre pour une politique de justice ? Il ne va certainement pas dire l'inverse. On lui demanderait ce qu'il considère comme juste, lui. Il ne sert à rien de prôner le mérite, puisque le concept contient l'idée de justice. Il faut dire ce qu'on juge comme du mérite.

Donc la question du mérite pose celle de ce qu'on juge juste de recevoir. Qu'est-il juste de recevoir ?

Une récompense ? Une récompense est un gain conditionnel : quand on fait ce que la personne qui récompense veut, ou quand on ne fait pas ce qu'elle ne veut pas. Ce n'est pas de la justice mais du despotisme. Voir aussi "Carotte et bâton".

Souvent, on va donc définir le mérite en fonction du résultat obtenu, de la réussite, ou de l'effort fourni (voire peine éprouvée). Quand on ne questionne pas le mérite, on l'attribue généralement à ceux qui réussissent. Mais quand on le remet en question, beaucoup vont contester ce lieu commun, et y préférer la valeur de l'effort ou de la la peine. Celui qui s'est donné du mal serait méritant, quel que soit le succès ou l'échec qui en résulte. Cette idée rejoint celle qu'un droit s'accompagne du devoir équivalent, pour la même personne. Autrement dit, pour avoir un droit, il faudrait accomplir un devoir. On ne parle pas ici du devoir de rendre un droit effectif : par exemple quand un droit d'accès à un service ou un lieu implique le devoir de le rendre accessible. Ici, ce serait à la personne qui veut un droit de le mériter en exerçant un devoir. "Tout travail ou toute peine mérite salaire." C'est l'évidence même. La démonstration est faite. Fin. Non, j'déconne ! Et ben oui, je conteste que le mérite est proportionnel à l'effort ou à la peine.

Ce qui est juste de recevoir, c'est ce qui correspond aux intérêts, et particulièrement aux besoins. C'est le principe égalitariste : l'égalité de considération des intérêts. À chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens. L'effort garde une certaine valeur, non pas vis-à-vis de ce qui est juste de recevoir = mérite, mais vis-à-vis de la seconde partie : L'effort doit être être proportionnel aux moyens. Il ne s'agit donc pas de demander à quelqu'un de faire plus que sa condition par exemple physique lui permet. De chacun sa part, selon ses possibilités. Trimer plus que sa part n'augmente pas le mérite (sauf indirectement, si l'effort supplémentaire conduit à des besoins supplémentaires ). Un nourrisson n'a pas de devoir, il n'en a pas moins des droits. Chacun a des besoins qui doivent être équitablement considérés, indépendamment de ce qu'il peut lui-même apporter aux autres. Voir #Agents et patients moraux dans Libre arbitre, ainsi que Redevabilité.

On mérite donc selon ses besoins. Plus une personne a besoin d'un soin médical, plus elle le mérite. Ce principe s'applique aussi concernant la punition et la vengeance. Un enfant désobéissant ou un malfaiteur ne mérite pas une peine à ce titre. Ce n'est pas parce qu'on juge un acte mauvais, qu'il faut punir celui qui l'a accompli. Même si le jugement est objectif (ce qui est rarement le cas, mais c'est un autre sujet), ajouter de la peine, n'améliore pas les choses, bien au contraire. Voir Futur plutôt que passé.

Autre question : Pourquoi ceux qui prônent la sécurité sociale, la CMU, voire plus largement une distribution des services matériels en fonction des besoins et non de la solvabilité, n'appliquent pas le même principe pour les autres questions, notamment celle de « l'éducation » et du « système pénal » ?