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Espoir d'1 rat vert
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4 août 2016

Le naturalisme et l'idée de nature

 

 

La nature, une notion bien variable

 

Nos civilisations actuelles baignent dans l'idée de nature, habituellement désignée "la Nature". Le mot et la notion reviennent souvent, mais la définition varie. L'amalgame des différentes versions mène à une confusion dangereuse. On en vient à une croyance floue en une entité cohérente qui n'existe pas. En effet, "la Nature" n'existe pas ; en tout cas pas au sens habituel, qui est en fait un amalgame de différentes définitions. C'est bien là le problème : on ne sait pas de quoi on parle, mais on en parle, et on y croit comme quelque chose d'évident.

Le mot "nature" peut désigner la réalité, tout ce qui existe. Mais dans ce cas, autant dire "réalité". Il peut aussi désigner tout ce qui ne tient pas de l'intervention humaine. La limite est alors floue, par exemple avec la pollution. Un espace non occupé ni exploité peut-il être "naturel" s'il est pollué ? On oppose aussi la nature à la culture, mais souvent la définition vacille, et on en vient à dire que tel aspect culturel est "naturel". Bien souvent, on parle de nature de façon moins précise, ou on passe d'une acception à une autre, comme dans l'exemple précédent. On oppose "naturel" à "artificiel", mais sans savoir ce que ça peut vouloir dire. Si la nature est ce qui existe, alors "l'artificiel" n'existe pas. S'il est ce qui est humain, autant parler de l'humain ou de l'activité, intervention humaine.

L'emploi du mot "nature" pose donc problème, du fait qu'il désigne beaucoup de choses différentes et qu'on passe de l'une à l'autre. Ça entraîne une confusion d'idées et une croyance en une notion de nature complètement fantasmée qui repose sur cette confusion des sens. Mais le problème de l'emploi du mot nature est plus grave. Il est la porte ouverte et la légitimation du naturalisme.

 

L'emploi du mot "naturel" peut être rapproché de celui du mot "normal". Dans les deux cas, la personne cache généralement son avis subjectif derrière une prétendue évidence ou valeur universellement reconnue.

 

Le naturalisme

 

Le naturalisme peut être défini comme l'idée qu'il faut suivre la nature. On comprend l'erreur fondamentale si on saute l'étape de définition de cette nature qu'il faudrait suivre, ou pire, si on la modifie selon ce qu'on veut justifier ou condamner.

Bien souvent, l'idée de nature sert donc à valoriser une norme culturelle contingente déguisée (consciemment ou pas) en loi de la nature.

Les contestataires de l'idée de nature sont très rares. La gauche comme la droite, les écolos comme les anti-écolos, se servent de "la nature" pour justifier leur idéologie. Mais en quoi ce qui serait "naturel" devrait-il servir de modèle de ce qui devrait être ? Plus largement encore : en quoi ce qui est (la réalité) devrait-il dicter ce qui doit être (l'éthique) ? Non, la prétendue naturalité ne justifie rien. Il ne faut pas suivre la nature (la connaître, par contre, mais c'est très différent).

Et puis de quelle nature parle-t-on ?

Si l'on parle de la planète, son climat, ses écosystèmes… il faut sortir du mythe des équilibres, de la perfection et du finalisme : voir chapitre correspondant. Cette nature est sans pitié, ni considération. Elle est indifférente au sort des êtres (y compris humains) qui la composent, et ne peut donc pas servir de modèle éthique. Il faut se demander ce qui est juste, et non ce qui existe ou ce que nous montre cette nature climatique ou biologique imparfaite et dénuée de morale.

Si l'on parle de tout ce qui n'a pas subi l'intervention humaine, l'argument du naturel ne tient pas plus. En fait, tout ce qui est produit par les humains est alors artificiel, contre-nature. Il n'existe pas de produit d'agriculture naturel, puisque l'agriculture n'est pas naturelle. Les vêtements, les outils, les sciences, les cultures, les lois ne sont pas plus naturelles. On peut même dire que, si on oppose la nature à l'humain, alors l'espèce devrait être éliminée, puisque artificielle, pour suivre la nature.

Mais justement, on ne va pas jusque là, parce que l'idée de nature est employée de façon sélective et arbitraire. Tantôt on justifie une pratique ou valeur par son caractère prétendu naturel, tantôt la même personne ou idéologie justifie une autre pratique ou valeur par son dépassement de l'état de nature ou sa spécificité humaine.

Bref, l'idée de nature est toujours un argument creux et fallacieux. Étouffant nos sociétés, il limite la rationalité de nos idées. Ce sophisme devrait être abandonné.

Le naturel ne veut rien dire (ou tout), et n'est donc pas pertinent. Quant à l'argument qui l'utilise pour justifier une valeur ou pratique, il est encore plus stérile, sophiste et néfaste. Se demander ce qui est naturel est vain, et surtout, n'indique en rien ce qui est juste.

 

Le double discours pro et anti-nature

 

La tradition ou ce qui est ancestral rejoint le naturalisme. Il s'agit toujours de vouloir justifier ce qui devrait être par ce qui est ou était. Que ce soit prétendu "naturel", ancestral, traditionnel… ce n'est pas un argument éthique pertinent. C'est au contraire sophiste.

Bien souvent, le double discours du naturalisme se retrouve dans cette considération de coutume. En fait, derrière la prétendue tradition, se cache généralement une vision égocentrique.

En effet, beaucoup de personnes sont uniquement centrées sur ce qu'elles ont vécu : "moi de mon temps...". Mais ce qui, de leur point de vue, est du passé, est alors désigné comme passéiste et dépassé. Le mythe utilisé est ici celui du naturalisme inversé, du dépassement de l'état de nature, du "sauvage", du primitif. Il est couramment lié à l'idée de propre de l'humain. "Heureusement, nous avons su changer ce qui n'allait pas et trouver mieux."

Ce qui, de leur point de vue, est nouveau, étranger, différent, n'est pas dans leur habitude ou dans ce qu'ils connaissent, est, quant à lui, désigné comme contre-nature. Ici, c'est le naturalisme direct. Ce qui ne correspond pas la norme de la personne est sanctionné par l'incrimination d'être une perversion, d'aller trop loin, d'aller contre les lois de la nature (en fait, contre la coutume de l'accusateur). Toute évolution ou remise en cause de ce coutumier, sur lequel trop de personnes sont centrées, est désigné comme une atteinte à une nature qu'il faudrait suivre, sous peine de se perdre.

Il n'y a pourtant pas de croyance en une perfection d'un passé fantasmé. Nous avons vu que ce qui est passé pour la personne est aussi considéré comme mauvais. La seule référence est ce que cette personne a connu. Tout ce qui en déborde est refusé, soit comme contre nature, soit au contraire comme primitif (l'humain ayant la grandeur de se soustraire à la nature). C'est cette même nature qu'il faudrait suivre en restant dans la norme culturelle en vigueur du temps de la personne.

 

 

Le mythe de la perfection et du finalisme de "la Nature"

 

Cette idée que la nature (au sens de non influencée par l'activité humaine) serait parfaite est particulièrement ancrée et visible avec l'idée d'équilibre. Le mythe prétend que "la Nature", sans intervention humaine, est une parfaite harmonie, grâce surtout au jeu subtil de ses équilibres. Or les équilibres stables sans intervention humaine n'existent pas. C'est une croyance qui est partagée par des scientifiques (climatologues, zoologues…), même si certain*s commencent à se réveiller et à dénoncer le mythe. Le cycle du carbone, par exemple, n'est pas "équilibré". Des pertes ne sont pas compensées.

La théorie de Darwin explique que les plus aptes à se perpétuer le font. Non pas les meilleurs. Généralement les plus violents, puisqu'ils se reproduisent au détriment des autres. La sélection n'a rien de merveilleux, ni de parfait (pourquoi n'avons-nous pas d'ailes ?) et ne doit évidement pas servir de modèle éthique.

 

La question de l'évolution des espèces est également déformée par un autre mythe : celui du finalisme. En fait, ce mythe et celui de la perfection de l'évolution sont imbriqués. C'est peut-être une face différente du même mythe. Bien que débordant du sujet du naturalisme, il faut évoquer ce mythe finaliste, tellement il est lui aussi ancré, et bien souvent intimement lié, au mythe de la nature et à l'idée qu'il faudrait la suivre. Il se conjugue avec le naturalisme pur pour former l'idée de "l'ordre naturel", où chaque chose a sa place et ne doit pas en changer.

Sans parler des vagues, habituellement religieuses, de créationnisme et autre intelligent design, le finalisme reste à la mode. Beaucoup se réfèrent à Charles Darwin, et dénoncent le négationnisme de l'évolution. Seulement, ils ont une vision finaliste de l'évolution. Le vocabulaire courant est éloquent : "fait pour", "son rôle", "sa place", quand ce n'est pas carrément "La Nature a créé (…) pour", etc. Darwin doit se retourner dans sa tombe, à voir sa théorie ainsi déformée (pour ne pas dire "dénaturée" !). Contrairement aux interprétations courantes, la théorie de Darwin n'implique aucun finalisme. Rien n'est "fait pour" (par "LA Nature" ?). Si un modèle est efficace pour se perpétuer, il est en quelque sorte sélectionné. Il n'est pas créé à dessein, mais se maintient après coup, au détriment de bien d'autres modèles proposés par le hasard des mutations. À noter que certains caractères d'une espèce peuvent être totalement inutiles. Ils sont apparus au hasard, et n'ont aucune incidence sur la supplantation de ou par cette espèce. Ou alors, ils sont apparus avec un autre caractère qui, lui, a permis à l'espèce de supplanter une autre ou de se trouver une place.

Récemment, dans son film "Home", Yann Artus Bertrand prétendait qu'aucune espèce n'est inutile ou nuisible et que chacune a son rôle, sa place. Il popularise encore plus le mythe finaliste et de la perfection "naturelle". Avec Darwin et les confirmations ultérieures (mutations génétiques aléatoires…), on sait bien qu'il n'y a pas de perfection, ni de finalisme. Le hasard règne. Ceux qui s'avèrent plus performants supplantent les autres. Pour autant, ils n'ont rien de parfait. Il peut toujours survenir une mutation qui apporte une amélioration et supplante l'espèce actuellement en place.

 

Essentialisme et discrimination

 

L'idée de nature et sa normativité sont particulièrement néfastes du point de vue des discriminations. Le naturalisme range des êtres dans des catégories prétendues et perçues comme naturelles. Une différence de nature séparerait les groupes (différentialisme). Cette nature du groupe est considérée comme son "essence" (essentialisme). Ainsi les êtres auraient un rôle prédestiné, une place dans "l'ordre naturel". De là est déduit la façon dont chaque être doit être traité, considéré, notamment la façon dont il doit être éduqué, formaté, conditionné. Traiter un être différemment d'un autre, dans les mêmes conditions, c'est la définition de la discrimination. Elle-même sert couramment à justifier l'oppression et l'exploitation d'un groupe sur un ou des autres.

Le principe de discrimination est ainsi intimement lié au naturalisme. Dés qu'on assigne une place, un rôle, on entre dans une logique naturaliste : cette prétendue destinée est toujours désignée comme naturelle. L'idée que chaque chose a sa place précise (qui participe à l'harmonie de l'agencement du monde) et qu'il faut donc "respecter" cette place, c'est à dire ne pas la changer ni la laisser être autre, tient de l'idée de nature (particulièrement celle d'ordre naturel), de sa prétendue perfection originelle et de la croyance finaliste. Or, assigner une place, un rôle, c'est une discrimination qui ne respecte pas la liberté de s'autodéterminer et qui n'a rien de juste ou d'éthique. Bien au contraire. Rien ne justifie qu'on prive ainsi les êtres de la plupart de leurs possibilités, ni qu'on s'appuie sur cette idéologie de catégorisation pour opprimer et exploiter les êtres qu'on range dans les catégories inférieures.

 

Le naturalisme pousse ou justifie les discriminations, dés le principe même de discrimination. Pour les dénoncer et tenter de les abolir, il faudrait donc prendre le principe dans son ensemble : considérer les individus en fonction de leurs intérêts propres, non en fonction de leurs catégories supposées. Un discours anti-raciste mais sexiste, par exemple, ne tient pas la route. Il n'est pas plus cohérent de critiquer le raciste et le sexiste, mais de se désintéresser ou de nier la discrimination envers les enfants ou envers les animaux sensibles non-humains, sous prétexte de leur prétendue nature différente des adultes ou des humains.

La nature humaine, celle des âges, celle des espèces, celle des "races" ou encore celle des "sexes"1 n'existent pas. Il n'y pas de rôle "naturel", de destinée dictée par la nature. Et encore une fois, la question n'est pas là. Il ne faut pas "obéir à la nature", mais simplement traiter chaque être en fonction de ce qui est moral. La prétendue nature d'un être ne détermine pas la façon dont il doit être traité, à commencer par la considération de son statut de patient moral ou non. Être équitable, c'est prendre en compte, de façon égalitaire, les intérêts des êtres qui en ont. Voir la page "égalitarisme".

Débarrassé du naturalisme, le principe éthique est simple et permet la convergence de toutes les questions de discrimination. Les êtres ne doivent pas êtres traités en fonction de leurs appartenances supposées, de leur prétendue nature, mais en fonction des intérêts (à ne pas être tués, maltraités, enfermés, exploités…) qu'ils ont.

 

 


 

1 | Je mets des guillemets à "la nature des "sexes"", puisque c'est plutôt une confusion entre sexe et genre, c'est à dire entre des caractéristiques physiques effectives (généralement limitées aux organes génitaux externes, sans regarder les internes, les hormones, les chromosomes...) et ce qui est attribué, selon la norme en vigueur, aux personnes de ce "sexe". De même pour les "races", et pas seulement parce qu'elles n'existent pas. Les ethnies humaines sont une réalité (qui ne correspond certes pas aux couleurs de peau et n'empêche pas les métissages). Et j'aurais là aussi mis des guillemets, puisque lorsqu'on parle de nature, disons "ethnique", il y a une confusion entre l'ethnie effective et ce qui lui est assigné.

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